Dès mon plus jeune âge, j'avais rêvé de devenir marin.
Mon père, ingénieur commercial, en avait rêvé aussi mais ses parents n'en avaient jamais accepté l'idée et c'est pourquoi
ils l'envoyèrent faire ses études à l'Institut Warocquié, à Mons.
Dès qu'il eût son diplôme en main, papa chercha et trouva du travail à l'étranger et c'est ainsi qu'il vécut 3 ans
en Espagne où il avait été envoyé pour une firme liégeoise.
Après cette période et de retour en Belgique, il voulut faire carrière au Congo Belge et commença ses études à l'école coloniale.
Hélas pour lui, papa n'a jamais eu que sa montre coloniale qu'il s'était achetée pour partir et qu'il conserva toute sa vie.
C'était une montre de gousset et je revois encore papa qui la remontait ponctuellement tous les matins.
Car, malheureusement pour lui, la guerre de 1914-1918 survint avant qu'il eût terminé ses études à cette école coloniale.
Resté bloqué en Belgique, il travailla à Mons pour le ravitaillement et c'est dans cette ville qu'il fit la connaissance
de maman et, ils s'y marièrent début 1918.
Ma soeur Jenny y naquit aussi le 18 avril 1919.
Papa fit donc sa carrière en Belgique et, étant marié et père de famille abandonna son idée de partir pour l'étranger.
Alors que mes parents habitaient Bonsecours, j'y naquis le 17 mars 1921. Mais 6 mois plus tard nouveau déménagement.
Papa travaillant alors à Tournai, mes parents achetèrent une maison à Karin.
Je revois encore très clairement cette maison. Elle était située en bord de la route menant au mont St Aubert.
Sa façade était double, moitié maison et moitié jardin.
Celui-ci était très profond. Il allait jusqu'à une rue parallèle à la nôtre dans laquelle se trouvait une école.
J'y fus mis au jardin d'enfants et je me souviens y avoir attrapé des poux.
C'était une maison encore éclairée au gaz. Il n'y avait pas de salle de bain et le WC se trouvait dans la cour.
Mais nous y étions si heureux car cela était normal en ces temps-là. Jenny et moi jouions beaucoup dans ce jardin
avec notre chien Saddy.
Papa arborait une belle barbe. Or un jour il décida de la couper et de ne garder que ses moustaches qu'il garda
d'ailleurs toute sa vie. Mais, quand il revint de chez le barbier, Jenny qui jouait dans le jardin l'accueillit
en lui disant « bonjour monsieur ».
Quand Jenny et moi fûmes en âge d'école mes parents décidèrent d'un nouveau déménagement vers Tournai où
les écoles étaient bien meilleures.
Je suis donc entré à l'école communale Paris et suis resté dans cette ville jusqu'en 1940.
C'est pourquoi je me considère comme Tournaisien sans toutefois être né dans cette ville.
Mais moi aussi, tout comme papa, j'avais envie de devenir marin.
Bien souvent, pendant les cours à !'Athénée, j'écoutais le professeur d'une oreille distraite tout en rêvant
des iles lointaines, des longs courriers aux ailes toutes blanches fendant les flots bleus parmi
les oiseaux de mer voletant autour des mâts.
Après ma quatrième latin-math à l'Athénée de Tournai, je fis part à mes parents de mon désir d'aller suivre les cours d'aspirant officier de marine à l'école supérieure de navigation d'Anvers. Communément appelée l'ESNA.
Se rendant compte que c'était mon désir le plus cher, et, quoique ma grand mère maternelle qui vivait avec nous, prétendait que tous les marins étaient des voyous, il fut décidé d'aller à Anvers aux renseignements.
N'ayant pas de voiture, maman et moi sommes partis de bon matin pour Anvers. En ces temps-là, il fallait encore traverser Bruxelles en tram pour se rendre de la gare du midi à la gare du nord.
A Anvers, nous avons dû rechercher quel tram ou bus était nécessaire pour arriver au Noordkasteel où se trouvait l'école de navigation. Ceci ne fut pas une sinécure pour nous wallons car tout était déjà en flamand, mais heureusement beaucoup d'Anversois connaissaient le français et ne répugnaient pas, comme c'est le cas actuellement, de le parler.
Arrivés à l'école, et en attendant d'être reçus par le directeur, le commandant Paduart, je voyais au travers des fenêtres les cadets, en uniforme de marin, qui travaillaient dans la mâture plantée dans la cour.
Je m'imaginais déjà parmi eux.
En ces temps-là existaient en Belgique 2 écoles de navigation, celle d'Anvers, l'ESNA qui préparait en 2 années de temps les candidats officiers de marine au long cours. L'autre, celle d'Ostende préparait en 1 an les candidats officiers de marine au cabotage.
Le commandant Paduart nous reçut maman et moi et nous fit une description vraiment noire de la carrière d'officier de marine. Manque de compagnies de navigation belges et grosses difficultés de se recaser si l'on abandonnait le métier.
Evidemment, maman ne voulut plus entendre parler de la marine et il me fallut reprendre mes études à l'athénée.
C'est alors que ayant eu des problèmes avec le prof de math mes parents décidèrent de me mettre en pension à l'athénée de Mons. Là se trouvait aussi un autre Toumaisien, Charles Dewisme, qui devint très célèbre en tant qu'écrivain sous le pseudonyme de Henri Vernes.
Arrivé en seconde, le désir de devenir marin me tenaillait toujours et, cette fois, papa prit la décision de venir avec moi à l'ESNA. Là, il entendit les mêmes arguments de monsieur Paduart.
Papa, ayant l'esprit très ouvert décida que ce monsieur n'était pas à sa place en tant que directeur d'une école de navigation et que, si tel était mon désir, je pouvais entamer cette carrière.
J'aurais pu terminer mon athénée et ainsi entrer sans examen à l'ESNA, mais j'étais impatient d'y aller, et de toute façon cela aurait été une année de perdue dans mes études d'officier de marine. Il fût donc décidé de passer par l'examen d'entrée.
Donc, fin juin 1939, je me suis amené avec de quoi dormir à cette chère école de navigation d'Anvers dont je rêvais depuis si longtemps.
Quelle ne fut pas ma surprise en voyant la masse de candidats. Nous étions au moins une centaine.
Le premier jour, examen médical. Pour ce faire nous avons été embarqués vers l'école coloniale. L'examen de la vue fut pour beaucoup le plus éliminatoire. Il n'était absolument pas acceptable d'être daltonien, ni en ces temps-là, porteur de lunettes.
Et, ce soir, nombreux furent ceux qui purent faire leur valise et rejoindre leurs pénates.
La nuit passée, nous nous sommes retrouvés pour le petit déjeuner, lequel nous a fait faire connaissance avec le riz au curry. Il était très fort le curry et le riz pas très appétissant.
Nombreux furent ceux qui restèrent sur leur faim ou durent se contenter de pain, beurre et confiture.
C'est à ce premier breakfast que je fais la connaissance d'un garçon Robert Wagner qui avait déjà navigué et qui m'expliqua que le riz au curry était courant à bord des navires.
Pendant 2 jours, me semble-t-il, nous avons passé les examens écrits.
A la fin de ceux-ci nouvelle sélection et finalement nous nous sommes retrouvés en plus petit nombre pour les examens oraux. Celui que je redoutais le plus était l'examen de flamand.
Dès sa première question, l'examinateur se rendit immédiatement compte du peu de connaissance que j'avais de la langue de Vondel. Il commença à me parler en français, et, avec beaucoup de culot je lui fais part de ce que j'étais certain que dès mon admission à l'ESNA, me trouvant alors en pays flamand, Je ferais obligatoirement de gros progrès en cette langue et rattraperais rapidement mon retard.
Ensuite retour à la maison.
Peu de temps après, bonne nouvelles, j'étais accepté.
C'était le temps des vacances.
Charly Dewisme qui était de 3 ans mon aîné avait fait connaissance de fille, elle vint passer ses vacances, en compagnie de sa sœur, chez les parents de Charly à Tournai et nous sortions ensemble.
Quand les 2 filles retournèrent chez elles, je fus immensément triste et je me suis rendu compte de ce que j'étais tombé amoureux.
Nous avons donc continué à correspondre tout en attendant mon début des cours à l'ESNA. Ceux-ci commencèrent fin juillet.
Arrivés à l'école, nous avons reçu la visite du tailleur Van Hoorickx.
Celui-ci pris nos mesures pour la confection de notre uniforme de cadet et nous fournit notre trousseau. Celui-ci consistait, autant que je me souvienne, en plus de notre uniforme, de 2 tenues de marin en coutil bleu et 2 en coutil blanc, avec béret adéquat. Aussi des chemisettes rayées bleu et blanc. Mais le plus surprenant, nous étions aussi obligés d'acheter des bottines cloutées de bois pour ne pas abîmer le pont de teck du Mercator.
Car depuis notre promotion, la 32ème, le système d'instruction nautique avait changé.
Précédemment, les candidats officiers de marine étudiaient 2 ans à l'ESNA, sortaient comme aspirant officier de marine et devaient naviguer, soit 2 ans sur le Mercator, soit 3 ans sur les navires des compagnies avant de pouvoir passer leurs examens de Lieutenant.